“Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir” de Victor Hugo
Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir
Quels sont ces bruits sourds ?
Ecoutez vers l’onde
Cette voix profonde
Qui pleure toujours
Et qui toujours gronde,
Quoiqu’un son plus clair
Parfois l’interrompe…
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe.
Comme il pleut ce soir !
N’est-ce pas, mon hôte ?
Là-bas, à la côte,
Le ciel est bien noir,
La mer est bien haute !
On dirait l’hiver ;
Parfois on s’y trompe…
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe.
Oh ! marins perdus !
Au loin, dans cette ombre,
Sur la nef qui sombre,
Que de bras tendus
Vers la terre sombre !
Pas d’ancre de fer
Que le flot ne rompe.
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe.
Nochers imprudents !
Le vent dans la voile
Déchire la toile
Comme avec les dents !
Là-haut pas d’étoile !
L’un lutte avec l’air,
L’autre est à la pompe.
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe.
C’est toi, c’est ton feu
Que le nocher rêve,
Quand le flot s’élève,
Chandelier que Dieu
Pose sur la grève,
Phare au rouge éclair
Que la brume estompe !
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe.
Victor Hugo
Nocher : pilote d’un bateau. Anciennement, dans le langage des gens de mer, le contre-maître des navires d’une certaine importance, et le maître ou patron de quelques petits bâtiments.
Illustration : Tempête de mer avec épaves de navires de Claude Joseph Vernet (1770)